Raymonde April, Journée de chutes, 1990 – Collection du FDAC de l’Essonne, Chamarande

Raymonde April se plaît à révéler dans ses photographies la diversité des expressions, des sentiments et des mouvements, du visage et du corps de ses modèles, qui sont le plus souvent des parents ou des amis et parfois aussi des inconnus. La photographe saisit un évènement dans toute sa poésie spontanée. Journée de chutes révèle ainsi à travers ses corps nus, la fragilité de l’humain. Elle fige un instant, un dimanche de février passé entre amis, pour qu’il devienne un souvenir éternel. C’est un fragment de son intimité que livre ici l’artiste. Le cadre de la prise de vue, en plongée, et la nudité des corps renforcent le caractère intime de la photographie, plaçant le regardeur dans une position de voyeur extérieur à la scène. 

Le photographe et critique Claude-Maurice Gagnon interprète ainsi cette œuvre : “(…) la photographie Journée de chutes, elle, amène le spectator sur le terrain délicieusement fantasmatique de la transgression des lois établies, dans un environnement photographique panoramique et romantique, où les codes à l’honneur permettent, en quelque sorte, aux sujets photographiés dans toute leur nudité, un retour aux sources, dans l’état imaginaire et rêvé de nature, soit dans une atmosphère idyllique, où l’écoulement du temps semble suspendu, le bonheur flottant, le mouvement détendu et libéré, les vaguelettes vaguement onduleuses, les corps aux formes ondoyantes ou sveltes, les peaux attendries par la caresse d’un vent lent et voluptueux, tantôt laiteuses, tantôt hâlées, dont la texture satinée contraste avec celle poreuse des roches ou celle grasse et visqueuse des feuillages qui érigent des roches ou surplombent le paysage pour lui donner une illusion d’ombre. Ni plus ni moins : le paradis perdu, retrouvé. Le présent éternel. Le désir d’éternité. Pulsion d’hédonisme. La photo aurait quelque chose de tactile : parce qu’elle matérialise, dans un langage hédoniste, le désir d’éternité, soit celui d’un présent éternel se déroulant dans un lieu paradisiaque, on voudrait toucher la fiction du bonheur, la fiction de la liberté qu’ elle actualise et imaginer, pour soi, l’avènement d’un tel moment. La photo aurait aussi quelque chose de lyrique : elle profiterait de la réalité de la nature pour transformer ce « réel » en merveilleux, en nous rappelant que toute production de signification est d’abord et avant tout conditionnée par l’attitude vagabonde et nomade de l’œil – il faut voir avant de savoir – qui regarde le « réel » et qui cherche à atteindre, dans ce « réel » même, un ailleurs insoupçonné et sans pareil. Somme toute, l’efficacité poétique de la photographie de Raymonde April serait attribuable au pouvoir qu’elle a de percevoir le fictionnel et le réel dans un rapport dialectique d’interpénétration et de nous entraîner, au-delà des clichés, face à nos propres fictions et à notre perception des choses” (Claude-Maurice Gagnon)

“Mes peurs sont sans doute un effet de ce maudit hiver qui n’en finit pas… Lorsque l’angoisse m’étreint, je m’enroule dans mes tricots de laine, je bois des tisanes chaudes et je regarde ma Journée de chutes déployer ses corps nus et son eau fraîche dans le crépuscule précoce de cette journée de février.”(Raymonde April, 1992)