Renaud Auguste-Dormeuil, I was there, Power Blackout, July 23, 2011, Athens, 37°59’22.36″N_23°43’30.56″E, 2011 – Collection du FDAC de l’Essonne, Chamarande

Le travail de Renaud Auguste-Dormeuil met souvent en question l’image et les représentations. La série des « Blackout » a été réalisée entre 2009 et 2012. Elle porte notre regard sur les paysages urbains nocturnes, en noir et gris, des capitales telles qu’Athènes, Paris, Rome, New York, Berlin ou encore Montréal, et interroge sur la création d’une image non pas à partir de la lumière mais à partir de la présence de l’obscurité.

Les prises de vue de cette série sont toutes identiques dans le format. La composition en trois parties s’apparente à un tryptique, format très récurrent de la peinture traditionnelle en particulier parmi les peintures religieuses. Les photos sont réalisées de nuit depuis une pièce plongée dans le noir derrière une fenêtre. Les prises de vues sont toujours un peu en plongée sur la ville. Mais contrairement au principe de la photographie traditionnelle qui capte la lumière et sculpte l’image par ses faisceaux, Renaud Auguste-Dormeuil inverse le processus et enregistre en noir ce qui est la lumière et en gris argenté ce qui est normalement le noir de la nuit. “Il n’existe pas d’image sans lumière. (…) ».

Les œuvres de la série Blackout ont toutes été réalisées avec le même procédé. Toujours de nuit Auguste-Dormeuil s’installe dans un lieu lui permettant d’avoir une vue panoramique sur le paysage urbain. Il va peu à peu supprimer chaque point lumineux du paysage en collant des gommettes noires sur la surface d’une baie vitrée. Dans cette chambre noire paradoxale qui transforme la lumière en obscurité, il obtient peu à peu un « Blackout » : une extinction totale des lumières. Pour la réalisation de cette série, l’artiste s’inspire du procéder de la camera obscura de la Renaissance. En effet, il expérimente l’idée de la création d’une image à partir du néant, de l’obscurité. Le titre de la série est une clef pour comprendre le processus plastique de l’œuvre de l’artiste.

Ce dispositif de production d’image constitue le deuxième moment de l’œuvre. Le résultat est une image abstraite, incompréhensible sans la connaissance du processus qui l’a produite. Cette production d’image à partir de l’obscurité donne des villes schématiques et très épurées. La présence du cadre des fenêtres lors de la réalisation des photos renvoie aussi bien à l’invention de la perspective à la Renaissance qu’à l’abstraction moderniste.

Construite depuis un point de vue surplombant, la série Blackout présente une filiation avec la tradition du panorama peint, genre apparu en Europe à la fin du XVIIIe siècle. Ce format paysage s’étend à l’horizontale et se courbe pour permettre un point de vue à 360°. Mot d’origine grec, panorama signifie littéralement « vue de tout ». Cette manière de peindre un paysage panoramique a été reprise dans le cinéma afin de contextualiser une histoire dès le début d’un film. Permettant à la fois la mise à distance et la maîtrise du paysage, le format panoramique est adapté pour la représentation de la guerre et de l’exercice du pouvoir comme on peut le voir avec le tableau Prise de Sébastopol d’Eugène Guérard. Dans la série Blackout chaque image est accompagnée de coordonnées GPS qui vont permettre de localiser la ville dont il est question sur l’image. Le titre anglais I was there donne tout son importance aux points GPS car il accentue le sentiment de disparition, d’effacement. Pour trouver un lien, il faut deux éléments essentiels : l’ordonnée et l’abscisse.