Dove Allouche, Déversoirs d’orage, 2009 – Collection du FDAC de l’Essonne, Chamarande

La série Déversoirs d’orages, réalisée en 2009, suit le réseau de circulation des égouts créé à Paris dans les années 1840 et servant à réguler le niveau de la Seine. Dove Allouche a sillonné ce réseau des eaux usées pendant un an. Dans une interview, il explique qu’il découvrait les lieux au fur et à mesure qu’il prenait les photographies, en une seule prise puisque l’inaccessibilité du réseau ne lui permettait pas de revenir une seconde fois. De cette expérience, ressort une série sombre et mystérieuse de 14 images grises, noires et contrastées, à la frontière du dessin et de la photographie.

Révélant un monde souterrain artificiel qui a lentement évolué au fil de deux siècles de gisements minéraux, ce travail est un clin d’œil à Félix Nadar, qui fut le premier à y photographier entre 1861 et 1865. Contrairement à Nadar, Dove Allouche n’utilise pas la lumière artificielle pour réaliser ses photographies et les transforme ensuite en héliogravures. Ce parti-pris ne résulte pas du hasard : cet artiste fait toujours le choix de la technique utilisée selon le sujet abordé.

Le procédé photochimique de l’héliogravure permet de reporter une image sur une plaque métallique (cuivre) par une action photochimique à l’aide d’acide. Pour réaliser une héliogravure, on utilise un film positif de l’image dont certaines parties sont protégées avec de la gélatine. Transféré sur une plaque de cuivre, on va ensuite le plonger dans différents bains d’acide qui vont attaquer en priorité les zones exposées (les noirs), puis progressivement celles où il y a un peu de gélatine (les gris), les zones les plus recouvertes, peu attaquées, resterons blanches au tirage. C’est ce qu’on appelle la « morsure » de la plaque. Afin d’être utilisée en impression, on doit y verser de l’encre qui va se loger dans les espaces creusés par l’acide, puis on presse la plaque sur un papier.

Pour cette série, Dove Allouche fait une analogie de temps entre l’héliogravure et le sujet qu’il capture. En effet, l’avènement de cette technique est contemporain à la création du réseau souterrain. Il réalise également un détournement : cette technique, aujourd’hui quasiment disparue, était à l’origine très coûteuse et destinée à l’impression de luxe, or ici il l’utilise pour capturer les égouts. L’artiste met en relation l’évacuation des eaux usées et la disparition de l’héliogravure et renverse radicalement son utilisation.

Dove Allouche fait également un parallèle entre la technique utilisée et le sujet capturé. Les sillons créés par l’acide dans la plaque de métal résonnent avec le trajet des déversoirs qui cartographient souterrainement les rues de la capitale. La morsure de l’acide de l’héliogravure fait écho au vieillissement et à la dégradation du réseau, à la rouille, aux écoulements d’eau et aux murs dégoulinants. Le travail de Dove Allouche, tant dans le sujet que par le médium, est un travail sur la matière. Le processus d’érosion du métal par l’acide a pour action la révélation d’une image : celle des détails des murs écaillés.

En fusionnant ainsi le sujet et la matière, Dove Allouche confère une forte dimension poétique à son œuvre. L’image offre une lecture sur plusieurs niveaux qui mène presqu’invariablement à la notion de perte.